La plage, un bien commun de plus en plus privatisé en ItalieCyril Peter
Agence France-Presse
Rome[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Un panneau indiquant une plage privée et l'absence de sauveteurs en service.
PHOTO GABRIEL BOUYS, AFP «Veuillez vous lever Madame, vous ne pouvez pas rester ici». Une femme enceinte qui surveillait son fils dans les vagues se fait déloger par un garçon de bains, illustration de la privatisation croissante des plages qui inquiète de plus en plus les Italiens.
L'épisode est survenu mi-juillet à Alassio, en Ligurie, au nord du pays, en vertu d'un arrêté municipal qui interdit «l'occupation» du rivage sur les plages privées. Pour le quidam qui n'a pas payé son parasol, seul le «libre passage» est toléré, il est interdit de s'arrêter.
Depuis 2006, une loi garantit un accès «libre» et «gratuit» aux plages mais l'État les cède de plus en plus à des intérêts privés. Selon l'organisation écologique WWF, le nombre de plages privées est ainsi passé de 5568 en 2001 à plus de 12 000 aujourd'hui.
Et les établissement privés, avec force parasols et transats loués en moyenne 15 à 20 euros (19 à 25 $) par jour, occupent désormais 900 des 4000 kilomètres de côtes réservées à la baignade.
«Les établissements balnéaires fleurissent et aller à la mer est devenu un luxe», s'inquiète Angelo Bonelli, président des Verts.
Militant pour un «rééquilibrage 50% public 50% privé» dans les aires urbaines, particulièrement touchées par la privatisation des rivages, il souhaite que les Italiens «se réapproprient le bord de mer, qu'ils puissent gratuitement se poser sur un banc et regarder le coucher de soleil».
«La spéculation sur ce bien commun a généré d'énormes profits pour un petit nombre alors que les écosystèmes côtiers ont été fragilisés» par le bétonnage, tempête Gaetano Benedetto, directeur des politiques environnementales de WWF en Italie.
De nombreux citadins se sont fait une raison: pour se baigner, il faut payer, comme à Ostie, dans le Latium (centre), cité balnéaire fréquentée par les Romains.
Comme chaque mardi, Marina et son mari amènent leur fille à la mer. «Je ne suis pas une habituée, mais je suis prête à payer une fois par semaine pour bénéficier des services», confie la jeune femme, allongée sur une chaise longue et à l'ombre d'un parasol loués 20 euros (25 dollars) la journée.
«L'ambiance est familiale, tranquille», renchérit Sabrina, qui a dépensé 1800 euros (2225 $) pour l'abonnement annuel de six personnes avec cabine, parasol et deux chaises longues.
Grève des chaises longuesElisabetta, une Romaine habituée depuis son enfance à fréquenter les établissements privés d'Ostie, n'a pas l'intention de poser sa serviette sur les quelques plages publiques du Latium, «abandonnées par les autorités».
«L'État est incapable de gérer les espaces publics», déplore-t-elle, estimant qu'«il n'y a pas d'alternative».
Concessionnaire depuis 2000, un gérant de plage privée, estime que «le responsable de cette situation, c'est l'État, qui ne veut pas assurer la gestion de son patrimoine et préfère le confier au privé».
Pour «résister» face au «bétonnage» du littoral, les Verts invitent les citoyens, victimes de «vol», à consulter sur internet le «manuel de défense des baigneurs».
«L'accès à la mer est un droit», peut-on lire sur le site.
«À Rio de Janeiro, l'accès à Copacabana est gratuit, aussi bien pour le millionnaire que pour l'habitant des favelas», note Angelo Bonelli, alors qu'en Italie, de nombreux citoyens touchés par la crise ne peuvent plus s'offrir une journée à la mer.
Les initiatives se multiplient. À Rome, où «80% des zones de baignade sont privatisées», selon Angelo Bonelli, les Verts ont lancé un référendum contre les plages privées. À Naples, des citoyens ont entrepris de créer une plage publique sur un emplacement industriel délaissé.
«Nous défendons les 98% de Napolitains ayant un maillot de bain, contraints de payer pour se baigner, contre les 2% de privilégiés ayant un bateau», assure Mauro Forte, responsable du comité citoyen «Une plage pour tous» qui relève une augmentation des constructions portuaires.
Mais les maîtres des parasols n'ont pas dit leur dernier mot. Le 3 août, ils prévoient une grève des «chaises longues» sur toutes les plages privées italiennes pour protester contre la directive européenne Bolkenstein. Celle-ci contraint les établissements balnéaires à restituer les concessions à partir de 2016, au nom du principe de concurrence, bafoué par le passé.
Environ 30 000 entreprises et 600 000 employés sont concernés.
Source:
La Presse