Parc national de Yellowstone: un monde à partViolaine Ballivy
La Presse[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE Un volcan, un millier de séismes par année, 300 geysers, 10 000 sources thermiques, 290 chutes de plus de 5 m, 332 espèces d'oiseaux et 2 d'ours (!): Yellowstone a sa place dans le palmarès des endroits qui étonnent le visiteur avant même sa venue, à la seule lecture de sa longue liste de statistiques épatantes. Mais il fait aussi partie de ces très rares endroits qui ne nous déçoivent jamais.
La terre a tremblé légèrement pendant la première nuit du séjour à Yellowstone. Un frisson. Un mouvement juste assez fort pour réveiller le dormeur au sommeil trop léger, piquer sa curiosité, faire dresser les poils sur ses bras.
Et si, cette fois, ça y était? Et si le volcan sur lequel repose le parc Yellowstone, toujours actif, avait décidé d'entrer en éruption, dévastant toute forme de vie sur son passage? Les scientifiques se font rassurants, tête froide et preuves à l'appui: la catastrophe ne devrait pas se produire avant 10 000 ans. Mais ici, dans ce décor sans pareil, il n'y a plus ni logique ni raison qui tiennent. Les repères sont confondus. Il faut se répéter à plusieurs reprises que ce territoire de près de 9000 km2, l'une des zones géologiques les plus actives au monde, est bel et bien situé dans le coeur des États-Unis. Et non pas sur une planète éloignée.
Dans le périmètre de la caldera du volcan, un bassin gigantesque créé il y a 640 000 ans lors de la dernière éruption majeure, il suffit généralement de franchir quelques centaines de mètres pour voguer d'un geyser à l'autre. Toutes les 90 minutes, les hordes de touristes se massent pour assister au spectacle donné par l'Old Faithful qui, à défaut d'être le plus gros geyser du parc, est l'un des plus impressionnants et des plus ponctuels, crachant avec constance son jet d'eau et de vapeur brûlante à quelque 50 m dans les airs.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE Trois kilomètres plus loin, c'est la «fontaine des pots de peinture» qui attire les appareils photo. Les micro-organismes teintent de rose le sol boueux qui, sous l'effet de la chaleur intense venant du sous-sol volcanique, se soulève en petits bouillons et projette sans interruption des boulettes de terre colorée dans les airs. Une casserole de milk-shake aux fraises oublié sur le feu, format géant. Encore quelques pas et c'est la mosaïque de couleurs vibrantes de la piscine chromatique qui retient le randonneur. Un peintre a posé son chevalet tout près, bien embêté devant sa palette et la perspective de reproduire ces couleurs de dessins animés en pleine nature.
Dans ce lieu de tous les contrastes, où tout semble surdimensionné, les plaines éternelles et les sommets enneigés innombrables, l'infiniment petit connaît aussi la gloire. Jamais on ne verra avec autant de plaisir de petits organismes, des bactéries invisibles à l'oeil nu, créer des mosaïques de couleurs extraordinairement vives le long des sources d'eau chaude.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE L'activité géothermique est parfois difficile à supporter. Près du Sulphur Caldron (chaudron de sulfure), l'air chargé de soufre ne malmène pas que l'odorat - avec sa forte odeur d'oeufs pourris -, mais aussi les yeux sensibles, irrités par cet air acide qui, au gré de forts vents, se fraie sans peine un chemin jusqu'aux passants. Sa chaleur surprend la peau près de chaque source d'eau chaude ou de fumeroles (jets d'air brûlants), qu'elle soit nue ou protégée d'un jean. On conseille généralement aux randonneurs de ne jamais quitter le sentier pour protéger l'écosystème, mais dans plusieurs secteurs, c'est surtout pour les protéger eux-mêmes. Souvent, seule une mince couche de terre recouvre une mare d'eau bouillante ou acide. Un pas de travers et c'est la brûlure. Des pans de route asphaltée cèdent parfois sous la pression et la chaleur. Les preuves que la nature est plus forte que l'homme sont omniprésentes.
Vie et mortYellowstone est ainsi un endroit étrange, inspirant parfois autant de fascination que de peur, où se côtoient continuellement vie et mort.
La mort, c'est d'abord les «cadavres» des milliers d'arbres décimés lors du terrible incendie de 1988 - qui a fait partir en fumée le tiers de la superficie du parc - et qui s'accrochent encore au flanc de certaines collines ou du mont Washburn, l'un des 20 sommets de plus de 3000 mètres du parc. C'est aussi les arbres pétrifiés, tués par les émanations toxiques venant du sol, dont s'abreuvent les racines et qui empoisonnent la sève. L'arbre n'est plus que le fantôme de lui-même, un tronc grisâtre privé de son lustre et de ses feuilles. Mais pas de sa poésie.
La mort, c'est aussi celle des deux touristes tués en 1877, victimes collatérales d'un conflit entre l'armée américaine et la communauté autochtone Nez Perce, qui s'est farouchement opposée à son confinement dans des réserves fédérales. Une rivière porte maintenant leur nom, symbole de leur vaine quête de liberté, souvenir de l'un des plus tristes épisodes de la tumultueuse histoire du parc.
La vie, elle, c'est celle des mêmes forêts incendiées où, petit à petit, repoussent de jeunes résineux, créant une mince ligne vert vif à quelques mètres au-dessus du sol. Et c'est celle d'une faune et d'une flore merveilleusement diversifiées, avec près de 1700 espèces de plantes et d'animaux - dont une centaine de loups, depuis leur réintroduction réussie en 1995. Le printemps est une période bénie pour les naturalistes, qui peuvent observer les nouveau-nés de l'année.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE À certains moments, les bisons sont si près qu'on peut les entendre mastiquer une bouchée d'herbe fraîche. Parfois, c'est la présence d'une ourse noire et de ses deux petits, à quelques dizaines de mètres du bord de la route, qui crée l'attroupement. Les oursons jouent à qui arrivera le premier au sommet d'un arbre mort, prélude des combats qu'ils livreront à l'âge adulte pour défendre un territoire. Les touristes ont sorti leurs zooms longs comme le bras. Des rangers s'assurent qu'humains et animaux gardent une saine distance.
Dans les sentiers, les randonneurs devront se fier à leur seule vigilance, d'autant plus qu'ils ne sont jamais très nombreux. En effet, la donnée la plus étonnante, voire incompréhensible, de Yellowstone est assurément celle qui révèle qu'à peine 10% des visiteurs quitteront leur voiture et les chemins aménagés menant des stationnements aux principaux attraits pour explorer à pied les sentiers de randonnée et goûter pleinement la beauté sauvage du parc.
Source:
Cyberpresse.ca