Les mesures sanitaires se multiplient dans le pays où, jeudi, les autorités dénombraient 281 cas d'infection par le virus H1N1. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] «J'ai
l'impression d'être sur la planète Mars», confie cet homme d'affaires
français qui n'en revient pas de son passage par l'aéroport de
Tokyo-Narita, il y a quelques heures. Il a le sentiment d'avoir
traversé un sas de décontamination : «Des agents de sécurité déguisés
en scaphandrier qui s'approchaient de moi pour vérifier ma température…
des fonctionnaires masqués partout… mais où suis-je ?» Ce monsieur est
au Japon à l'heure de la grippe A. L'Archipel est
particulièrement touché par cette maladie, dont le nom lui-même a muté
plusieurs fois dans les médias : grippe mexicaine, grippe porcine, shin
influenza (nouvelle grippe en japonais). Jeudi soir, les autorités
sanitaires nipponnes dénombraient 281 cas de grippe A, faisant du Japon
le quatrième pays au monde le plus touché par le virus. Le mode
de progression de l'épidémie a stupéfié le pays : d'abord cantonnée à
quelques cas repérés à l'aéroport de Tokyo, donc possibles à
circonscrire, elle a explosé dans la région du Kansai, autour des
métropoles commerciales d'Osaka et de Kobé, deux des plus importants
ports du pays. Elle est apparue mercredi à Tokyo, la plus grande
agglomération du monde, où circulent quotidiennement 36 millions
d'habitants, avec deux cas. Mais la psychose voyage beaucoup plus vite
que le virus lui-même. Les médias pilonnent leur auditoire de flashs
alarmistes dès qu'un cas suspect est signalé, quitte à faire une
seconde annonce plus tard prévenant que ledit cas «n'est finalement pas
contaminé». Chaque journal télévisé rappelle des conseils de bon sens
(bien se laver les mains, etc.) à la population. Cette
surenchère permanente au nom de la sécurité a poussé les autorités à
des mesures drastiques. Le ministre de la Santé, Yoichi Masuzoe, a
semblé lui-même atteint de panique en annonçant au pays les premiers
cas. Dans le Kansai, 5 000 écoles ont été fermées et les
établissements de Tokyo s'apprêtent à des mesures similaires. Les
entreprises, de peur d'être accusées de peu réagir, poussent leurs
salariés à vérifier leur santé : prise de température le matin, etc. Le
géant publicitaire Dentsu refuse ainsi dans ses locaux toute personne
rentrée de l'étranger il y a moins de cinq jours. D'autres interdisent
à leurs employés de partir à l'étranger, contre toute logique puisque
le Japon est un des principaux foyers dans le monde. «Depuis début mai,
nos réservations s'effondrent. Les Japonais ont peur de prendre
l'avion», s'alarme un voyagiste européen.
Plus une invasion étrangère Pendant
ce temps, à la Bourse, les titres liés à la grippe (fabricants de
masques, distributeurs de Tamiflu) flambent. Pourquoi une telle
panique ? Durement touché par la grippe espagnole de 1918, où il a
perdu 450 000 personnes, l'archipel nippon traite toujours les
épidémies en commençant par fermer ses points d'entrée, plutôt limités.
Récemment, la grippe aviaire, voire le sida, a été vécue comme
une invasion étrangère. Mais cette fois le mal est «en lui» : les
foyers de contamination sont au cœur du pays, dans ses métropoles.
«Nous devons reconnaître que l'épidémie vient de chez nous et ne pas
nous concentrer sur nos frontières», a reconnu jeudi le premier
ministre, Taro Aso. Pendant ce temps, les ventes de masques sanitaires
explosent. D'ordinaire, les Japonais ne répugnent pas à porter un
masque pour se protéger et protéger les autres de leurs microbes,
surtout en période d'allergies. Mais cet acte de délicatesse
est devenu un acte civique. Dans les transports en commun du Kansai, ce
sont les visages découverts, rares, qui ont l'air de pestiférés…
Quelques femmes, pour détendre l'atmosphère, ont choisi de faire de ces
rubans blancs peu esthétiques des accessoires de mode, les ornant de
papillons.