Cracovie (Pologne) ou le tourisme essentiel Alexandre Shields [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Photos Alexandre Shields
La place du Marché, appelée Rynek Glowny, avec les halles au centre.
À l’arrière-plan se dresse la splendide basilique Sainte-Marie. Vidée de sa population juive par les nazis, laissée pratiquement à l'abandon par les dirigeants soviétiques qui y voyaient un nid de dangereux intellectuels, Cracovie fait véritablement figure de survivante. Mais cette rescapée de la bêtise humaine a heureusement su préserver son patrimoine architectural. Cette cité dynamique est même devenue le centre culturel et scientifique de la Pologne.
Ce qu'elle a pu endurer, cette Pologne longtemps silencieuse, prisonnière pendant plus de la moitié du XXe siècle des idéologies des autres! Y poser le pied n'en inspire que davantage le respect. Une impression encore plus forte dans le cas de Cracovie, dont la beauté ajoute nettement au charme de ce carrefour majeur de l'histoire récente de l'Europe. La table est mise pour une expérience marquante.
Avec ses 745 000 habitants, Kraków est la troisième agglomération du pays, mais ses dimensions ont tout de la ville à échelle humaine. En fait, toute sa partie historique se situe dans un secteur bordé par la Vistule, au pied de la colline de Wawel. On peut donc aisément sillonner le secteur à pied, entre deux arrêts bagels, bretzels ou café. Les circuits serpentant la vieille ville — à parcourir de façon autonome ou en groupe — ne manquent d'ailleurs pas. Un guide de voyage sous le bras, le visiteur saura s'y retrouver.
Ce haut lieu touristique depuis la chute de l'URSS n'a subi presque aucune destruction depuis les Tatars, au Moyen Âge. Même l'industrialisation s'est concentrée essentiellement à l'extérieur de la ville-centre, celle-ci étant donc riche d'exemples de toutes les époques, surtout de la Renaissance mais aussi de styles baroque et néogothique. Même l'intérieur de plusieurs bâtiments a été préservé des pillages alors que nombre de palais ou de résidences aristocratiques sont ornés de riches détails architecturaux qui valent franchement le coup d'oeil. Décision intelligente des autorités: les rénovations et les restaurations sont soigneusement orchestrées afin de respecter une certaine harmonie dans un tissu urbain plusieurs fois centenaire.
Parmi les incontournables de la vieille ville, il y a la place du Marché (appelée Rynek Glowny), avec les halles au centre. S'y trouve une galerie où on peut admirer quelques exemples de peintures et de sculptures polonaises du XIXe siècle. En périphérie de cette grande place ensoleillée et bordée de multiples restaurants se dresse la splendide basilique Sainte-Marie.
Parmi les centaines de monuments historiques, le château royal du XVIe siècle et la cathédrale sur la colline de Wawel sont à voir, tout comme l'université Jagiellon, construite au XIVe siècle. Sans oublier le quartier Kazimierz, centre historique de la vie religieuse et sociale des juifs de Cracovie. Pour les amateurs, le Musée de l'aviation polonaise présente quelques exemplaires d'appareils mythiques de la Deuxième Guerre mondiale.
Plusieurs festivals animent la riche vie culturelle de la ville tout au long de l'année. En matière de musique, les clubs de jazz sont nombreux, et il fait bon y passer quelques heures à abuser (mais avec modération!) du large éventail de vodkas offertes, surtout celles qui sont aromatisées. Les restaurants chaleureux et relativement peu onéreux — comme le coût de la vie en général — sont légion. Il faudra bien sûr goûter quelques spécialités, notamment les pierogis et le bortsch. Et, fait à noter, la population est la plupart du temps très accueillante, et à peu près tout Polonais de moins de 40 ans parle anglais, ne serait-ce que pour bredouiller quelques indications sur l'itinéraire pour se rendre à un lieu donné.
L'HolocausteL'histoire de Cracovie est indissociable de la Shoah. S'y rendre impose donc, ne serait-ce que par simple devoir de mémoire, de s'y attarder. Chiffre évocateur: entre 1939 et 1945, 90 % de sa population juive a été exterminée. La ville a d'ailleurs connu un regain de popularité auprès des touristes après la sortie du film La Liste de Schindler de Steven Spielberg.
C'est en effet là qu'Oskar Schindler avait son usine de fabrication de batteries de cuisine, qu'il vendait à l'armée allemande. Celle-ci peut d'ailleurs être visitée. Aujourd'hui, toutefois, les bâtiments sont relativement à l'abandon, à l'exception du bureau de l'industriel allemand et d'une petite présentation multimédia. Son entreprise fonctionnait grâce au travail obligatoire des juifs provenant notamment du ghetto de Cracovie, puis du camp de travaux forcés de Plaszow, dirigé par le sanguinaire Amon Goeth. Les deux sont situés à distance de marche de l'usine.
Le ghetto, d'abord, dont le secteur est demeuré intact, contrairement à celui de Varsovie, complètement rasé par les nazis. Avant sa création, 3000 personnes vivaient dans cette zone. Avec la création du ghetto, plus de 18 000 juifs ont été forcés de s'y entasser. Les conditions de vie se sont donc dégradées rapidement, au fur et à mesure que les autorités allemandes réduisaient la superficie du quartier, ceinturé par un mur dont certains fragments existent toujours. Il est d'ailleurs quelque peu surréaliste de voir les habitants du secteur qui vivent aujourd'hui dans ces bâtiments ayant jadis servi de prison pour des citoyens condamnés à une mort éventuelle.
Pour une visite du secteur, le point de départ tout indiqué est la Plac Zgody, «la place des héros du ghetto». C'est là que les juifs étaient rassemblés avant d'être déportés, les personnes inaptes au travail (surtout les enfants et les personnes âgées) étant les premières victimes. On peut d'ailleurs s'y procurer une carte thématique très détaillée dans un petit bâtiment qui fut un poste SS.
À environ 20 minutes de marche du ghetto, caché derrière des lotissements domiciliaires de mauvais goût, se trouve ce qui reste du camp de travaux forcés de Plaszow. C'est ce camp qu'on voit dans La Liste de Schindler. Comme plusieurs autres camps construits par les nazis, il a été entièrement détruit lorsque ceux-ci ont battu en retraite devant l'armée russe afin d'effacer les traces de leurs crimes. Aujourd'hui, on ne voit que des collines herbeuses avec, çà et là, quelques vestiges de structures de béton.
Univers surréalisteEn matière d'illustration flagrante de la mécanisation de l'horreur, les camps de concentration d'Auschwitz sont pour leur part très bien conservés. Ils sont situés en bordure de la petite ville industrielle d'Oswiecim, à une soixantaine de kilomètres à l'ouest de Cracovie. On peut s'y rendre en moins d'une heure de train et la visite est gratuite. On dit les camps parce qu'il existe en fait deux camps distincts: Auschwitz I et Auschwitz II-Birkenau, situés à environ trois kilomètres l'un de l'autre. Des lieux à visiter absolument, ne serait-ce que parce qu'ils représentent une expression incroyable de tout ce qui peut exister de pire.
Le premier camp, avec sa trentaine de bâtiments, s'ouvre sur un portail au-dessus duquel on peut lire l'inscription «Arbeit Macht Frei», qui signifie «le travail rend libre». Les prisonniers y étaient surtout utilisés pour des travaux forcés, mais on y a aussi pratiqué de nombreuses expérimentations «médicales» d'une cruauté sans nom. En tout, 70 000 personnes y sont mortes, dont plusieurs prisonniers de guerre soviétiques et des opposants polonais.
Chaque bâtiment représente un thème lié à la barbarie nazie. On y traite des souffrances infligées aux différents pays pris sous le joug allemand tout au long de la guerre ainsi que du quotidien plus que pénible des prisonniers du camp. Comme élément difficile à supporter dans l'un d'eux, on voit, derrière des vitrines, les valises empilées de centaines de déportés. Celles-ci portent les noms, les dates de naissance et les lieux de résidence de leurs propriétaires. Des vitrines semblables présentent des vêtements d'enfants ou des monceaux de cheveux humains.
Le deuxième camp, d'une superficie de 175 hectares, était quant à lui un lieu essentiellement consacré aux grandes exterminations décidées en vertu de la «Solution finale». Jusqu'à 100 000 personnes y ont été gardées captives et 1,3 million y sont mortes. On retrouvait là pas moins de 300 baraquements. Une cinquantaine sont toujours intacts. Le site est effectivement immense, avec au centre une voie ferrée où arrivaient les trains de déportés. C'est là qu'ils subissaient le tri qui envoyait 80 % d'entre eux directement aux chambres à gaz.
On doit prévoir une journée pour prendre le temps non seulement de visiter mais aussi d'accuser le choc. Chose certaine, il ne s'agit pas d'un tourisme tout sourire. Ce tour d'horizon de l'apogée de l'univers concentrationnaire reste en effet gravé dans la mémoire. Bref, il est bel et bien question ici d'un tourisme essentiel.
En vrac- En matière de littérature touristique, un guide de voyage Lonely Planet de l'année est tout à fait indiqué. L'édition consultée par Le Devoir recensait de très bonnes adresses en matière d'hébergement et de restauration, en plus de présenter des circuits intéressants pour la ville historique. Aussi, toute la Pologne est couverte par un seul bouquin. Il existe également une collection appelée «Cartoville», publiée chez Gallimard, qui offre des cartes détaillées avec de bonnes adresses pour savoir où manger et où sortir.
- Si on prend le temps de faire un saut en Pologne, il faut aller voir Varsovie, la capitale, détruite à 90 % pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le charme n'est donc pas le même, mais pour ce qui est des bonnes adresses de restaurants et de la vie nocturne, elle vaut amplement le détour. Plusieurs trains relient quotidiennement les deux villes en moins de trois heures.
- Pour ce qui est de la météo, le temps est tout à fait agréable en été, avec des moyennes oscillant autour de 20 °C. L'automne et le printemps, il faudra s'habiller un peu plus alors que le thermomètre oscillera entre 5 et 10 °C.
Source:
Le Devoir