Brandebourg (Allemagne), une région qui renaîtAlexandre Shields [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Photo : Alexandre Shields De Berlin à Dresde, la route est bordée de magnifiques jardins plusieurs fois centenaires, mais aussi de châteaux et de palais somptueux: l'Allemagne offre un itinéraire riche en découvertes étonnantes. Voilà également l'occasion de plonger au coeur de l'histoire d'événements et de personnages parmi les plus marquants.
Brandebourg — La région du Brandebourg, ancienne province prusse, a passé la moitié du siècle dernier derrière le rideau de fer. D'ailleurs, elle se remet toujours des séquelles laissées par plus de 60 ans d'occupation soviétique. Raison de plus pour les Allemands de vouloir faire découvrir au monde la multitude de châteaux, de jardins et de palais que recèle ce coin de pays magnifique. D'autant plus que dans certains cas, la préservation de ceux-ci tient du miracle, vu l'âpreté des combats que s'y sont livrés les forces allemandes et russes dans les derniers mois de la Deuxième Guerre mondiale.
Le périple s'ouvre d'ailleurs dans la très symbolique Berlin, centre névralgique de l'histoire récente de l'Occident. Surtout connue en raison de son tristement célèbre mur, balafre idéologique qui a marqué le XXe siècle, sa vivacité aujourd'hui retrouvée a de quoi séduire. On pourrait y consacrer tout un séjour sans jamais s'en lasser.
Cette fois-ci, pour un voyage organisé autour de la thématique des jardins, des châteaux et des palais, pourquoi ne pas aller flâner du côté des Jardins du monde, un énorme parc qui regroupe de traditionnels jardins japonais, chinois, italiens, coréens, etc.? Un hommage senti aux différentes traditions botaniques, qui sied bien à une ville très verte, sillonnée par la rivière Spree et ponctuée d'une myriade de plans d'eau.
Il faut aussi se rendre au palais de Charlottenbourg, situé dans le quartier du même nom. Construit au début du XVIIIe siècle, dans le style baroque, pour Sophie Charlotte de Hanovre, l'épouse de Frédéric III de Prusse, il a par la suite été agrandi successivement au fil des années par ses différents propriétaires. Cette immense «résidence d'été» donne également à voir de vastes jardins qui mélangent les styles français et anglais. Lourdement endommagé et pillé durant la dernière guerre, le palais a heureusement bénéficié d'une restauration minutieuse.
Pour prolonger le plaisir, il faut aller faire un tour au restaurant attenant à l'orangerie, qui offre bon nombre de spécialités culinaires allemandes. Fait à noter, au début de l'été, les asperges blanches sont un incontournable. On en trouve d'ailleurs sur presque tous les menus. Et c'est sans compter les patates au four farcies à la crème sure, ou encore les fameuses saucisses. Le tout avec une bonne bière locale. Un délice qu'on voudra répéter.
Le palais SanssouciDirection Potsdam, à une trentaine de kilomètres au sud-ouest de Berlin, classé au Patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO. C'est là que Frédéric Le Grand, le plus célèbre souverain de Prusse, avait choisi d'aménager un vaste domaine pour accueillir son palais d'été Sanssouci, achevé en 1747. Sur le plan de la splendeur, plusieurs le classent comme un rival de Versailles, rien de moins. Un Versailles résolument plus intimiste: il ne compte, par exemple, qu'un seul étage.
Le palais est situé tout en haut d'un coteau de vignes, au sommet d'une succession de jardins en escaliers. Le coup d'oeil y est incroyable, d'autant plus qu'on y arrive après une petite promenade dans un parc aux arbres plusieurs fois centenaires, bien aménagé et ponctué de quelques perles architecturales, dont la Maison chinoise, petit pavillon richement décoré et représentatif de l'engouement pour les «chinoiseries» au XVIIIe siècle.
Sur le même site, le Nouveau palais, construit deux décennies après Sanssouci, est nettement plus imposant, avec ses 200 pièces. Il s'agit en fait d'un des plus gros du genre construit au XVIIIe siècle. Plus de 400 statues bordent le parapet du bâtiment, construit pour montrer que la Prusse était toujours puissante malgré les ravages de la guerre de Sept Ans. Une énorme orangerie de 300 mètres de long complète le tableau.
La ville de Potsdam compte bien d'autres attraits, tout en étant elle aussi très verte et de dimension humaine. Élément cocasse: la colonie russe Alexandrowka et ses maisons typiques. Vitrine sur l'histoire: le château Cecilienhof, lieu de la fameuse conférence de Potsdam, où les Alliés scellèrent le sort des forces de l'Axe, en juillet 1945. Sans compter le centre historique de la ville, que les autorités continuent de restaurer à grands frais. Le secteur retrouve progressivement tout son charme après avoir été laissé à l'abandon sous le régime soviétique. Il avait auparavant été ravagé par les combats des dernières semaines de la guerre.
L'endroit est tout indiqué, avec ses terrasses et ses rues piétonnes, pour essayer une tradition tout à fait délicieuse: la pause kaffe und kuchen (café et gâteau) du dimanche. On peut aussi s'y adonner du côté de Bornstedt Crowne Estate, une place publique animée et bordée d'échoppes d'artisans, mais aussi d'une très ancienne distillerie qui produit entre autres choses une excellente bière.
«Mon coeur appartient à mon jardin»À peine plus de deux heures sur les incomparables autoroutes allemandes (sans crevasses ni limite de vitesse, soit dit en passant) sont nécessaires pour gagner Cottbus et, juste à côté, le palais de Branitz, avec son parc de 100 hectares où chaque élément a été modelé et disposé selon les instructions du prince Hermann von Pückler-Muskau, grand passionné de voyages. Le palais d'abord, achevé en 1772, abrite un musée dédié à cet homme qui y passa la dernière partie de sa vie.
Preuve du caractère hors du commun de ce noble, il est enterré au coeur d'une grande pyramide de terre et de roche, recouverte de verdure et située au milieu d'un étang intégré dans l'imposant réseau de plans d'eau creusés sur le site. «Mon coeur appartient à mon parc», aimait-il à répéter. Ce parc, qu'il voyait comme une «galerie vivante» qui témoignerait de sa propre existence, compte pas moins de 15 kilomètres de sentiers et des éléments tirés de ses souvenirs de voyages. Une centaine d'employés ont trimé dur à l'époque pour réaliser les idées de grandeur de Pückler.
Ce domaine n'est pas le seul qu'il ait possédé, puisqu'il en existe un autre à Bad Muskau, à la frontière de la Pologne. Ce vaste parc de 830 hectares se décline d'ailleurs des deux côtés de la frontière. Il suffit de lire la description qu'en a faite l'UNESCO lors de son classement pour le Patrimoine mondial de l'Humanité pour se convaincre d'aller y faire un tour: «Le parc de Muskau est l'un des plus beaux exemples de grand parc paysager européen; à la lumière des normes et des préceptes de son époque, il se distingue comme une oeuvre exceptionnelle '"d'amélioration" du paysage, une oeuvre novatrice en termes de développement vers un idéal de paysage façonné par l'homme. Le parc de Muskau est le précurseur des nouvelles approches du paysagisme urbain et rural, et a influencé le développement de l'architecture paysagère en tant que discipline.»
Les deux domaines sont situés à quelques kilomètres de la forêt de Spree, surnommée la Venise du Brandebourg, avec son véritable labyrinthe aquatique formé de 1000 kilomètres de cours d'eau de diverses dimensions. Si vous souhaitez découvrir cette forêt par vos propres moyens, vous aurez la possibilité de louer un canoë ou un kayak ou d'emprunter l'un des nombreux sentiers de randonnée à pied ou à vélo de la région.
La Florence de l'ElbeCap au sud, à la limite du Brandebourg, pour terminer avec la découverte Dresde, une ville qui a vécu une véritable renaissance au cours des dernières années, méritant de nouveau pleinement son surnom de Florence de l'Elbe. Elle a pratiquement été rayée de la carte en moins de 48 heures en février 1945 par des bombardements massifs menés par les Américains et les Britanniques, qui larguèrent plus de 7000 tonnes de bombes incendiaires. Au moins 130 000 de ses habitants périrent. Le centre historique était alors chose du passé. C'est donc dire l'ampleur du plan de reconstruction qui a dû être mis en place, surtout une fois l'Allemagne réunifiée, donc après 1990.
Le résultat est tout simplement incroyable. Aujourd'hui, déambuler dans le centre de Dresde, c'est s'assurer de multiplier des regards béats d'admiration. Pièce centrale de ce splendide ensemble: l'imposante et grandiose église Notre-Dame (Frauenkirche, en allemand) culmine à plus de 90 mètres de hauteur, avec un dôme en pierre de 23,5 mètres de diamètre. On peut d'ailleurs y monter pour admirer tout Dresde. Une ascension obligée, surtout quand on sait que les incendies qui ont suivi les bombardements de 1945 avaient réduit cette église à un amas de gravats.
La reconstruction de la Frauenkirche, lancée au milieu des années 90, a ceci de particulier que non seulement elle a été reconstruite à l'identique, mais on a réutilisé tous les matériaux d'origine récupérables, c'est-à-dire que les pierres des ruines ont été numérotées, triées puis remises à leur ancienne place. Les matériaux manquants sont remplacés par des neufs. C'est ce qui donne un air spécial à l'église, qui combine pierres noires et pierres blanches.
Même regard ébahi à la vue du superbe opéra Semper, réputé partout sur la planète. Toujours à distance de marche, le palais Zwinger, délicat ensemble baroque comportant un merveilleux pavillon et un arc de triomphe unique au monde. Encore une fois, puisqu'il n'en restait rien, il fut entièrement reconstruit entre 1945 et 1963. Il se reflète dans le bassin qui l'entoure. Fait à noter, le Zwinger abrite l'une des plus importantes collections de porcelaines du globe. Sans oublier la Kanzleihaus, remarquable palais Renaissance. Et on pourrait continuer ainsi encore et encore, mais tout bon guide touristique offre une liste exhaustive des lieux à voir.
Création splendide à contempler longuement: une fresque murale de 102 mètres, sur Augustusstrasse. Connue sous le nom de Cortège des princes, ou Fürstenzug, en allemand, cette fresque dépeint un défilé des régnants de la chambre de Wettin en 1127. Cette fresque fut peinte à l'origine entre 1870 et 1876 par Wilhelm Walter. Lorsque le stuc commença à se détériorer, il fut remplacé, entre 1906 et 1907, par 25 000 carreaux de céramique du fabricant de porcelaine Meissen. Et, par miracle, les tuiles survécurent aux bombardements de 1945.
Brillante idée: les autorités envisagent par ailleurs la reconstruction de nombreux immeubles de moindre importance, ces tissus mineurs concourant à la physionomie générale des villes historiques. Dans le même but, on a d'ailleurs procédé à la démolition d'immeubles modernes hideux, comme le bâtiment de la Police centrale, sinistre ensemble en béton qui défigurait la place du marché et les environs de la Frauenkirche.
Bref, il faut prévoir quelques jours pour savourer la ville, flâner sur la terrasse de Brühl, qui surplombe l'Elbe, mais aussi s'offrir une balade en bateau à vapeur sur le cours d'eau et un passage par le château de Pillnitz et ses magnifiques jardins. On y trouve également diverses ailes à l'architecture riche et colorée, qui constituent autant de prolongements du bâtiment central, ainsi qu'un pavillon chinois et une orangerie. Épilogue digne d'un itinéraire qui donne à voir une région de l'Allemagne longtemps cachée derrière un rideau de fer et qui cherche encore aujourd'hui à s'ouvrir au monde. Nul besoin de forcer la note, le coup de coeur viendra de lui-même.
Source:
Le Devoir