Bhoutan - La monarchie du bonheur

Bhoutan - La monarchie du bonheur
Carolyne Parent


Un pied ancré au Moyen Âge, l’autre effleurant le XXIe siècle, le royaume himalayen donne carrément le vertige. Et l’altitude n’y est pour rien.

D’abord, il y a le relief, violent, aux gorges, fleuves, denses forêts et sommets acérés qui, franchement, conviennent mieux au léopard des neiges qu’à l’homme. Ensuite, il y a l’harmonie, surréaliste, du paysage bâti et de la tenue vestimentaire des habitants, qui portent tous, ou presque, des habits traditionnels. Puis on remarque ce qu’il n’y a pas : panneaux-réclame, feux de circulation et… fumeurs, puisqu’on n’y vend pas de tabac !

À vrai dire, atterrir à Paro, la seule vallée du pays suffisamment large - mais tout juste - pour accueillir les Airbus de Drukair, c’est pratiquement atterrir dans une boule à neige, dans un monde demeuré presque intact, comme s’il avait été conservé sous verre.

Le Bhoutan émerge à peine de son isolement extrême, conséquence d’un parti pris politique comme de sa situation géographique. Pays enclavé, grand comme la Suisse, il est cerné par l’Inde sauf au nord où, au-delà des hautes cimes de l’Himalaya, il a pour voisin le Tibet, qu’occupe la Chine.

Pendant des siècles, les Bhoutanais, au nombre de 700 000 aujourd’hui, ont été coupés du monde extérieur. Ils ont aussi été captifs de leurs inaccessibles vallées jusqu’à ce que le pays se dote de routes, d’électricité, d’un service postal et de téléphones. C’était dans les années 1960. « Deux camions par jour passaient dans mon village, raconte mon guide, Namgyel Tenzin. J’avais sept ans et ils me faisaient peur. » La télévision, elle, est apparue en 1999 (vous avez bien lu).

BNB vs PNB

Amorcée dans ces mêmes années 1960, l’ouverture du pays allait se poursuivre sous le règne de son quatrième roi, Jigme Singye Wangchuck. En 1974, son couronnement marqua d’ailleurs le coup d’envoi du tourisme, 287 étrangers s’étant déplacés pour l’occasion ! Mais ses réformes allaient plutôt s’attaquer à des affaires autrement plus pressantes : mortalité infantile, analphabétisme et pauvreté.

À la fin des années 1980, estimant que l’amélioration de la qualité de vie de ses sujets ne devait pas se faire au profit d’un développement à tout crin, le souverain échafauda un concept inédit : le Bonheur national brut (BNB).

Ce BNB repose sur quatre piliers : développement durable, protection de l’environnement, préservation du patrimoine et bonne gouvernance. Les plus cyniques y verront les voeux pieux d’un roi idéaliste ; d’autres laisseront la chance au coureur. Voyons voir…

En matière de tourisme, par exemple, 65 $ des 250 $ du tarif minimum quotidien exigé par personne (lire un peu plus loin : « Le tarif de séjour expliqué ») sont reversés à un fonds qui finance écoles, hôpitaux et infrastructures. La diversification des produits touristiques aidant, l’industrie profite désormais à plus de Bhoutanais.

Au tourisme sportif, axé sur les treks saisonniers en montagne, se greffe maintenant un tourisme culturel grâce aux tsechu (des festivals de danse à caractère religieux), qui attirent du monde toute l’année dans plusieurs régions. Le nombre de visiteurs est ainsi passé de 40 000 en 2010 à 65 000 en 2011 et atteindra 100 000 cette année, prévoit-on.

Sur le plan environnemental, 42 % du territoire est constitué de parcs nationaux, de réserves naturelles et de sanctuaires fauniques protégés. Quelque 70 % du pays est encore couvert de forêts. Une concession à la protection des ressources : l’hydroélectricité, vendue à l’Inde et qui constitue, avec le tourisme, les seules sources de revenus du royaume.

Fortement encouragé et dans certains cas obligatoire, le port des vêtements traditionnels, la kira (une longue jupe) pour les femmes et le gho (proche parent du… peignoir) pour les hom mes, fait vivre des milliers de tisserands. Menuisiers, ébénistes et sculpteurs ne chôment pas non plus : ils fabriquent le mobilier et les ornements de bois ouvré qui habillent les superbes temples bouddhistes comme les bâtiments civils. En tout, 13 formes d’art et d’artisanat sont soutenues par la royauté, le clergé et la population parce qu’intégrées depuis toujours à leur mode de vie.

Quant à la gouvernance responsable, eh bien, connaissez-vous beaucoup de souverains, adorés de leurs sujets, qui abdiquent de leur propre chef, pas seulement pour installer leur fils à leur place mais pour instituer une monarchie cons titutionnelle au nom du bien commun ? C’est ce qui s’est produit au pays du « Dragon Tonnerre », officiellement une démocratie depuis 2008.

Le sacré au quotidien

« Achetons des drapeaux de prières : on les accrochera à Dochula [un col de montagne à 3000 mètres au-dessus du niveau de la mer] », dis-je à M. Tenzin. « Bonne idée ! », acquiesce-t-il. « C’est 800 ngultrums », fait la vendeuse d’une boutique de textile à Timphu, la capitale. Alors que je m’apprête à payer mes drapeaux, mon guide s’interpose : « C’est que, si je ne contribue pas à l’achat, je n’aurai aucun mérite à les accrocher avec vous ! »

C’est ça aussi, le Bhoutan : une terre de spiritualité où les habitants déambulent autour d’un chorten (un monument renfermant des reliques) pendant des heures dans le but d’améliorer leur karma. (Mon chauffeur, lui, lâchait plutôt le volant pour joindre les mains et saluer par trois fois tous les stûpas qui jalonnaient une route casse-cou !) Une terre où le moindre hameau compte un moulin à prières géant mû par un cours d’eau ou par les dévots. Une terre où chaque vallée, chaque grotte, chaque rivière a une histoire liée aux péripéties abracadabrantes des déités du bouddhisme tantrique himalayen.

Selon la mythologie tantrique, le gourou Rinpoché (Padmasambhava), chevauchant une tigresse ailée, se posa sur une falaise vertigineuse de la vallée de Paro au VIIIe siècle. Dans une caverne, il dissimula des « trésors », des enseignements spirituels, afin que les incarnations de ses disciples les révèlent en temps opportun. Sur cette falaise, un monastère auquel on accède au terme d’une ascension de deux heures a été construit à la mémoire du saint homme, qui propagea le bouddhisme au pays. Et qu’on soit bouddhiste ou pas, Taktsang, cet « antre du tigre » suspendu entre ciel et terre, donne le frisson.

Mais tout change…

Il faut neuf heures pour avaler les 270 kilomètres qui séparent Paro de Jakar, situé dans le district de Bumthang, berceau culturel au centre du pays. L’étroite route grimpe au-dessus des vallées, par-delà les montages Noires, surplombe des cultures en terrasses et franchit de hauts cols. Nous croisons des yaks et admirons des dzongs. Ces monastères-forteresses, construits pour la plupart au XVIIe siècle pour protéger le territoire des invasions tibétaines, coiffent des promontoires tels des baleineaux blancs. Époustouflant.

Au dzong de Punakha, ancienne capitale du pays, le domchoe bat son plein lors de notre arrivée. Des danseurs aux costumes multicolores recréent un épisode d’une bataille bhoutano-tibétaine dont l’enjeu était une relique sacrée. Spectaculaire. Mais c’est plutôt un tout petit temple et l’un des plus vieux du royaume, le lhakhang Jampey, à Jakar, qui me laissera la plus vive impression. En ce huitième jour du premier mois lunaire, jour de bon augure, il est bondé. Tintements des cloches des moulins à prières, récitation monocorde des soutras, son sourd des trompes tibétaines appelant les divinités, éclat des lampes à beurre illuminant le sombre sanctuaire… Un moment de grâce.

Préserver son identité tout en se mettant au diapason du monde n’est pas le moindre des défis que le pays doit relever. Déjà que l’anglais remplace le dzongkha comme langue d’enseignement, une mesure destinée à accélérer le développement du royaume… « Si tout n’est pas mauvais dans la mondialisation, nous sommes prudents, dit Kesar Wangli, directeur général du Conseil du tourisme du pays. Nous prenons aussi très au sérieux notre quête de bonheur car le Bhoutan n’est pas une pièce de musée, le Bhoutan est vivant. »

« Le Bhoutan est comme une voiture dont la performance dépend de l’essence qu’on met dedans, dira aussi Namgyel Tenzin. L’essence, c’est nous, notre patrimoine, nos traditions. Mais tout ça change. Une maison de ferme devient un restaurant touristique ; un magasin de village se met à vendre des souvenirs, et deux, trois, quatre autres l’imitent… Que faire ? On a tous besoin d’argent. »

L’argent ne fait pas le bonheur, paraît-il. Soit, on peut être heureux dans une masure mal chauffée, mais nul doute que les Bhoutanais, qui tirent leur subsistance essentiellement de la terre et sont pauvres pour la plupart, apprécieraient un peu plus d’aisance. Alors, pour l’heure, les plus heureux en ce royaume sont certainement les étrangers, émerveillés par la « boule à neige ».

Le tarif de séjour expliqué

Il en coûte 250 $ au minimum par personne, par jour, pour séjourner au Bhoutan. Mais attention : ce n’est pas une taxe. Cette somme comprend l’hébergement dans un hôtel de trois ou quatre étoiles, trois repas par jour, le transport terrestre et les services d’un guide. Les touristes devant obligatoirement transiger avec un tour opérateur accrédité par le royaume, il leur est donc impossible de voyager en individuel. Le prix du visa, lui, est de 20 $US. Mais pourquoi imposer un tel tarif ? Pour opérer une sélection naturelle des touristes. « Notre petit pays ne pouvant absorber le tourisme de masse, nous ciblons les écovoyageurs avertis, explique Kesar Wangli, directeur général du Conseil du tourisme du Bhoutan. Et puis, dans la plupart des grandes villes du monde, 250 $, c’est le prix d’une nuitée dans un bon hôtel. »

Le bonheur, pour tous ?

Quelque 200 familles bhoutanaises vivent au Québec. Elles appartiennent à l’ethnie lhotsampa, dont les ancêtres népalais ont immigré au Bhoutan il y a 150 ans. À la fin des années 1980, des tensions identitaires ont commencé à se faire sentir entre ces « gens du Sud », des Hindous qui parlent le népalais, et les autorités. C’est donc par milliers qu’ils ont quitté le royaume, volontairement ou pas, et trouvé refuge dans des camps au Népal.

En 2010, ils étaient 90 000. Par ailleurs, en mars dernier, le Bhutan Times rapportait qu’advenant le succès de la nouvelle ronde de négociations qu’ont entamée le Bhoutan et le Népal, seuls seraient rapatriés au pays les réfugiés détenant la citoyenneté bhoutanaise, « s’il y en a vraiment »…

En vrac

Le bon trajet : via Paris et Delhi avec Air France, puis, avec Drukair, cap sur Paro, où l’atterrissage est considéré comme l’un des plus risqués du monde. airfrance.com, drukair.com.

Le bon moment : évitez juin, juillet et août, c’est la mousson. Pour les treks, mars, avril, mai, octobre et novembre sont recommandés.

Les bons plans : consultez Uniktour, une agence-boutique spécialisée dans les circuits sur mesure. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]

La bonne cuisine : vous adhérez au courant « de la ferme à la table » ? Eh bien, le Bhoutan n’a jamais connu que ça ! Au menu : légumes variés, piments rouges forts (l’ema datshi, le plat national, en est entièrement composé), momos (raviolis) tibétains, riz rouge, fromages, truite, porc et parfois viande de yak (du boeuf, en moins fibreux).

Les bonnes lectures : Bhoutan - Terre de sérénité de Matthieu Ricard, Radio Shangri-La de Lisa Napoli, et le guide Bhutan de Lonely Planet.

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Source: Le Devoir.com

C'est un petit pays dont on parle fort peu, finalement, avec des spécificités et des contraintes qui ne plairont pas à tous le monde. Un manière en quelque sorte de réguler le flux touristique, ce qui n'est pas forcément une mauvaise chose, loin de là...

Attention, tu n'as pas posté au bon endroit (moi qui suis à l'affut du moindre CR )

Désolée encore une fois, Olivier! Je corrige tout de suite!!!