Nuits blanches à Saint-PétersbourgFrédérick Lavoie, collaboration spéciale
La Presse(Saint-Pétersbourg, Russie) De Pouchkine à Dostoïevski, les nuits blanches de Saint-Pétersbourg ont inspiré les plus grands écrivains et poètes russes. Encore aujourd'hui, les Pétersbourgois profitent de ces longues nuits d'été sans noirceur que leur offre la proximité du cercle polaire pour découvrir leur ville sous une lumière différente. Récit d'une nuit (presque) blanche sur les toits et les ponts de la romantique et mélancolique capitale impériale russe.
L'ascension jusqu'aux toits de Saint-Pétersbourg constitue une aventure en soi. Bien guidés par Sergueï, habitué des escapades nocturnes en hauteur, nous traversons le grenier insalubre d'un édifice centenaire de la rue Ligovski, en plein centre-ville de Saint-Pétersbourg.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]FRÉDÉRICK LAVOIE, COLLABORATION SPÉCIALE LA PRESSE Après quelques exercices de contorsion pour contourner les vieux objets qui y traînent, et même des morceaux de voie ferrée (!), nous posons le pied à l'extérieur. Le toit de tôle argentée est escarpé et dangereux, mais la vue sur Saint-Pétersbourg que nous procure notre audace en vaut le risque. Nous avons atteint le sommet séculier de la ville: une loi interdisant aux immeubles résidentiels et commerciaux de dépasser 27 m dans les vieux quartiers de la cité impériale, seuls les innombrables clochers d'église surplombent les toits laïques qui s'étalent à perte de vue.
Katia, l'une de nos amies-accompagnatrices, souligne la différence entre les toits des vieux et des nouveaux édifices qui s'offrent à notre regard. Les plus récents sont «rectilignes et géométriquement parfaits», alors que les plus anciens ont des «pignons asymétriques qui leur donnent un aspect plus artistique et beaucoup plus intéressant», note Katia, qui confie pouvoir passer des nuits entières à les observer.
Sergueï, lui, vient sur les toits pour y profiter du romantisme des nuits blanches avec des filles. Par les chaudes journées d'été, il y grimpe seul pour prendre des bains de soleil... nu. Il assure que personne ne s'en offusque. «Ici, c'est un sport national!», rigole celui qui est venu du fin fond de la Sibérie il y a deux ans pour s'installer à «Piter» - comme appellent Saint-Pétersbourg ses habitants de naissance et d'adoption.
Notre nuit blanche se poursuit chez Katia autour d'une tasse de thé. Elle habite dans une kommounalka. Comme dans plusieurs «appartements communautaires», le découpage des pièces est labyrinthique et il ne faut pas s'étonner de retrouver la baignoire dans un coin de la cuisine.
Avant la révolution bolchevique de 1917, ces appartements luxueux appartenaient aux bourgeois du régime tsariste. Lénine et sa bande avaient alors tôt fait de les redistribuer à la plèbe, pièce par pièce, une pièce par famille. L'idéal communiste prenait ainsi tout son sens.
Avec le retour à la propriété privée après la chute de l'empire soviétique, les nouvelles autorités se sont lancées dans un casse-tête pour se débarrasser de ces milliers de kommounalkas, sans pour autant jeter qui que ce soit à la rue. Vingt ans plus tard, la ville de 5 millions d'habitants compte toujours 100 000 appartements communautaires, dont 80% dans le centre historique.
Le thé terminé, nous repartons d'un pas rapide. C'est qu'il est déjà près de 1h du matin. Bientôt, les 13 ponts rétractables qui traversent la Neva et relient les différentes îles de Saint-Pétersbourg vont commencer leur ascension. Toutes les nuits d'été, les ponts ouvrent pendant environ trois heures, le temps de laisser passer les gros bateaux qui ne peuvent se faufiler sous leurs arcades.
Trop tard, nous annonce notre amie Evguénia. Nous raterons l'ouverture du célèbre pont du Palais, à deux pas du musée de l'Ermitage. Mais rien de dramatique, nous arriverons à temps pour voir celle du pont Troïtski, quelques centaines de mètres plus loin.
Nous prenons place à côté des centaines de touristes, massés près des murets de pierre longeant la Neva. Le signal est donné. Le pont monte. Les curieux activent leur appareil photo. La dizaine d'embarcations touristiques qui attendaient l'ouverture du pont - bien que théoriquement, leur faible hauteur leur aurait permis de s'y faufiler en tout temps - poursuivent leur route. «Lorsqu'on passe sous le pont tout de suite après son ouverture, on peut faire un voeu», explique Evguénia.
Le coup de 2h approche. Si nous voulons traverser la Neva pour nous rendre à l'appartement où nous logeons, il faut faire vite: le pont qui nous en sépare ouvre à son tour à 2h20. Les taxis autour de nous sont nombreux, mais tous déjà nolisés par des touristes qui, eux, avaient prévu le coup.
Nous nous éloignons de la Neva. Le premier chauffeur trouvé à qui nous annonçons notre destination regarde aussitôt son horloge. Trop risqué. Il aura le temps de traverser pour nous mener à bon port, mais il pourrait être bloqué au retour. Pour se débarrasser de nous, il nous propose un prix exorbitant (les tarifs des taxis en Russie dépendent généralement de vos talents de négociateur).
Quelques précieuses secondes plus tard, une vieille Lada déglinguée conduite par un migrant tadjik - un cliché du taxi de nuit en ce pays - s'arrête. Va pour 200 roubles (7$). À vive allure, il dévale l'avenue Nevski, la majestueuse artère principale de Saint-Pétersbourg. Nous arrivons à temps dans notre île et le chauffeur réussit même à retourner au centre-ville.
Maintenant, que faire le reste de la nuit? La guitare qui traîne dans le coin de l'appartement nous donne la réponse. Nous passerons des heures à nous l'échanger, enchaînant les refrains de groupes pétersbourgeois légendaires: Akvarium, DDT, Aouktsyon... Car voici un autre «sport national» de Piter: rendre hommage à l'âme artistique de la capitale impériale en faisant résonner la musique et les mots dans la simplicité d'un vieil appartement soviétique jusqu'au petit matin.
Les festivités entourant les nuits blanches se dérouleront cette année du 11 juin au 2 juillet à Saint-Pétersbourg. Comme chaque année, la ville sera envahie par les touristes, alors il vaut mieux réserver tôt.
Source:
Cyberpresse.ca