L'autre République dominicaineSébastien Templier
La Presse[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Photo: André Pichette, La Presse«La terre la plus vierge de République dominicaine.» C'est ainsi que les Dominicains qualifient ce bout de terre qui pointe dans le nord-est du pays. Comme tous les secrets bien gardés, la péninsule de Samaná n'est pas des plus accessibles. En voiture ou en autobus, elle nous fait traverser la province de La Altagracia, grimper la cordillère orientale puis redescendre sur le petit port de Sabana de La Mar. Un périple d'une bonne demi-journée avant de traverser en bateau la baie de Samaná.
En s'extirpant du relatif confort de Punta Cana, les contrastes de ce pays verdoyant nous sautent aussitôt aux yeux. Une fois traversé la grouillante Verón, les plantations de canne à sucre défilent après Otra Banda, petite ville fondée par des immigrants blancs qui à l'origine en refusait l'accès aux Noirs. Nous sommes déjà loin des complexes hôteliers aux entrées monumentales, loin de ce tourisme de masse. En certains endroits, les Haïtiens sont aussi nombreux que les Dominicains. Ils seraient plus d'un million au pays.
On passe rapidement par Higüey, capitale provinciale dont on cherche encore les charmes et attraits. Au pied de la cordillère orientale, El Seibo est la seule ville au pays à avoir conservé la tradition des corridas. Elle nous ouvre presque les portes de la montagne que l'on serpente sur une route parfois cahoteuse. Le voyage touche à sa fin à Sabana de La Mar. De l'autre côté de la baie: la péninsule de Samaná, verte et escarpée.
À la descente du bateau, nous mettons le pied à Santa Bárbara de Samaná. Si la capitale provinciale a perdu de son attrait après qu'un incendie eut détruit son architecture coloniale au début du XXe siècle, elle reçoit néanmoins chaque année des visiteurs de taille: les baleines à bosse. Sa baie est un des plus importants lieux d'observation et de reproduction de cette espèce de cétacé sur la planète. De janvier à mars, on se bousculerait presque pour frayer dans ses eaux profondes, tranquilles et chaudes.
Santa Bárbara de Samaná est devenue une ville dite «moderne». En ce jour d'octobre, elle n'est qu'une halte pour nous.
De Santa Bárbara, la route qui mène à l'extrémité nord-est s'arrête presque sur la plage même, à Las Galeras. Peu de touristes viennent ici. Pas d'agence de voyages, pas d'excursions, peu de vie nocturne, aucun bruit. Pour accéder aux plus belles plages, peu d'indications et point de transports. On se débrouille. Le seul accès à la playa Frontón, par exemple, est par la mer ou par un sentier écologique. On peut toujours essayer de négocier avec un pêcheur au village de Las Galeras. Sinon, la ballade à pied est très facile.
De la plage à la forêtAutre que ses plages solitaires, Samaná, c'est aussi une végétation exubérante composée de six à sept millions de cocotiers. Un héritage... français. En 1680, cette partie de l'île est très peu peuplée. Quelques années après y avoir débarqué, les Français y plantent café, cacao et canne à sucre, établissant ce qui deviendra la plus grande cocoteraie du monde. Cette présence française est encore relativement importante à Samaná, surtout du côté de Las Terrenas. Pour nous y rendre, on traverse la péninsule du sud au nord. Mais en route, un arrêt à El Limón s'impose.
Blotti dans la forêt humide, El Limón est sans doute le village le plus rural de Samaná. Avant d'y arriver, on s'arrête à l'une des paradas, un de ces petits ranchs qui bordent la route. Notre objectif: la cascade d'El Limón, une chute d'eau de 60 mètres de hauteur située dans une aire protégée. Après une bonne demi-heure à dos de cheval à travers la forêt, on met le pied à terre pour ensuite descendre au pied de cette belle robe de mariée. Dans les eaux turquoise de son bassin creusé en contrebas par les eaux, les gamins du coin, comme les quelques touristes, s'y baignent parfois. L'un de nos accompagnateurs se risque même à escalader la paroi pour plonger d'une hauteur d'une quinzaine de mètres.
On doit remonter, enfourcher nos montures et reprendre la route. Direction Las Terrenas, petite bourgade atypique où, dans la rue, on entend régulièrement des conversations en espagnol, français, anglais, voire italien. Ici, plus de 20% de la population est française. La plupart des commerçants viennent de l'Hexagone. Quand les Français s'y sont établis dans les années 70, on ne comptait que quelques maisons de pêcheurs. Capitale économique de la péninsule, village le plus touristique de celle-ci, Las Terrenas est aujourd'hui agité mais agréable, développé mais tranquille. Son bord de mer est idyllique. On y vient pour se baigner le long de ses 18 km de plages totalement publiques, caractéristique extrêmement rare en République dominicaine.
Las Terrenas contraste avec Sánchez, village de pêcheurs de la côte sud de la péninsule. En apparence abandonné et mélancolique, autrefois prospère, il n'est pourtant pas désagréable de s'y perdre. Ici, le temps a peu d'importance. En contrebas du village, sur le bord de l'eau, les hommes pêchent, réparent les filets ou se préparent pour la vente la pêche du jour. Comme dans tout le reste de la péninsule, on travaille à la journée et non au salaire; c'est plus avantageux, la paye est double. Le reste du temps, on fait un peu d'agriculture, on joue aux dominos et à la balle - véritables «sports nationaux». Ce rythme de vie, «c'est culturel», me dit-on.
C'est un autre rythme, une autre région. La péninsule de Samaná, c'est réellement une autre République dominicaine, une terre encore vierge.
Source: Cyberpresse.ca