Voyage au bout de l'AnhuiTigres, dragons et Montagnes jaunesGary Lawrence[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le massif du Huang Shan, aussi appelé Montagnes jaunes, compte parmi les sites les plus
spectaculaires de Chine. En bas, à gauche: le village de Hongcun tel qu’il apparaît dans la
scène d’ouverture du film Tigre et dragon. En bas, à droite: des pièces de jambon
en train de sécher à l’air libre, à Xidi. À moins d'une journée de route de Shanghai, trois sites exceptionnels classés sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO nous font replonger dans une Chine tantôt féodale, tantôt inféodée à dame Nature. Bienvenue dans un Empire du Milieu centré sur son passé.
Tangkou — Question existentielle. Vais-je d'abord mettre le cap sur le pic de la Clarté, le pic de l'Origine de la croyance ou le pic du Nuage pourpre? À moins que je me fixe comme objectif de gagner le temple de la Lumière de la miséricorde, en marquant une pause à la Fleur qui s'épanouit à la pointe du pinceau — une formation rocheuse surmontée d'un pin noueux, comme on en trouve tant dans le Huang Shan.
Si ce fantasmagorique massif montagneux de l'est de la Chine — aussi appelé Montagnes jaunes — est affublé de termes et d'épithètes aussi parfumés, ce n'est pas par hasard: chacun des 154 kilomètres carrés de ce site classé par l'UNESCO porte à la rêverie ou instille l'onirisme. Pas étonnant que certains sommets aient été baptisés Le Singe qui regarde la mer, le Rhinocéros qui contemple la lune ou Le Paon s'ébattant parmi les fleurs de lotus, et qu'ils aient servi de source d'inspiration à James Cameron pour les montagnes flottantes de son film Avatar.
Formées il y a 100 millions d'années puis échancrées par les glaciers, ces ravissantes montagnes effilées se dressent comme de colossales stalagmites de granit, comme une forêt de pics et de piliers chatouillant ou transperçant la bien-nommée Mer de nuages, elle qui nappe de brumes cimes et aiguilles grisâtres — d'où l'expression non consacrée «Dans l'Anhui, tous les chas sont gris». Chaque mois, des randonneurs vernis sont même gratifiés de la lumière de Bouddha, cette sorte d'arc-en-ciel circulaire, aussi appelée gloire, qui entoure leur ombre projetée sur une nuée.
Avec ou sans l'aide de l'Éveillé, nombreux sont les peintres, écrivains et poètes qui ont été tourneboulés en fréquentant le Huang Shan, depuis la nuit des temps.
Le nom même du massif vient d'une légende, celle voulant que Huang Di (l'empereur jaune), père de la civilisation chinoise, y ait séjourné en ermite avant d'accéder à l'immortalité, au XXVIe siècle avant Jésus-Christ.
Fréquenté par des millions — oui, des millions — de randonneurs essentiellement chinois, le Huang Shan compte 77 pics de plus de 1000 mètres et une bonne cinquantaine de kilomètres de sentiers, fort bien aménagés et ponctués d'innombrables escaliers de pierre. Plusieurs culminent au pic de la Capitale céleste, l'un des meilleurs endroits où admirer l'aube naissante, pour qui a la chance de passer la nuit dans le massif.
Celui-ci est accessible via trois téléphériques, et surtout par deux sentiers principaux, les Marches de l'Est (7,5 kilomètres, moins spectaculaire) et les Marches de l'Ouest (15 kilomètres, plus escarpé et époustouflant). Ces dernières débutent au Rocher volant, sorte d'obélisque naturel qui semble prêt à prendre son envol. Mais le sentier le plus vertigineux demeure celui du défilé de la Mer de l'Ouest, dont les marches taillées dans le roc, parfois ouvertes sur le vide, longent une gorge étourdissante.
Peu importe l'itinéraire choisi, le plus grand risque qu'on court ici est de voir sa mâchoire se décrocher, voire de devenir insensible aux autres beautés du monde en retombant les pieds sur Terre. C'est ce qui est arrivé au géographe Xu Xiake, qui, au XVIIe siècle, déclara à peu près ceci: «Qui a vu les cinq montagnes sacrées de Chine n'a plus envie de connaître les autres montagnes; qui a vu le Huang Shan n'éprouve plus aucun plaisir à regarder les montagnes sacrées.»
Heureusement, il reste les villages du Huizhou, une région de l'Anhui située non loin du massif entre rizières, bambouseraies et champs de thé.
Splendeurs mises en valeurAutres temps, autres moeurs. Pendant la Révolution culturelle, dans le splendide petit village de Hongcun, les gouttières en étain ornées de têtes de dragon, les riches ornementations sculptées et enluminées d'or des lambris, fenêtres et linteaux des maisons bourgeoises, tout cela était soutiré du regard sous des banderoles déployées à la gloire du Grand timonier.
Maintenant que la Chine vit pleinement sa Révolution industrielle et qu'on a pigé que le tourisme forme toute une industrie, ces splendeurs sont plus que jamais mises en valeur. Surtout depuis l'inscription de Hongcun, en 2000, sur la Liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. À juste titre: nombreux sont ceux qui estiment que les exemples d'architecture Ming et Qing de ce village, fondé en 1131, comptent parmi les plus éminents de l'Empire du Milieu.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Photo : Gary Lawrence
Aménagé par un géomancien, Hongcun compte
en son centre un bassin en forme de demi-lune. Aménagé par un géomancien autour du bassin de la Lune, Hongcun comporte un plan en forme de buffle — un animal associé à l'eau — dont les nombreux canaux en constituent les entrailles, le long des venelles labyrinthiques. Mais le pont qui permet d'accéder au village depuis le lac du Sud évoque davantage le tigre et le dragon, ceux du poétique film d'Ang Lee (Crouching Tiger, Hidden Dragon), puisque la scène d'ouverture — entre autres — y a été tournée. Et si la folle poursuite aérienne de Jiao Long et Shui Lien, sur les toits de tuiles, n'a pas été croquée à Hongcun, les innombrables et ravissantes toitures gris-bleu surmontant les murs chaulés à pignons ont certes dû inspirer le cinéaste. À moins que ce ne soit celles de Xidi?
Autre remarquable village de l'Anhui classé par l'UNESCO, Xidi joue tellement bien la carte touristique qu'il faut casquer pour y pénétrer: à l'entrée, tous les visiteurs doivent en effet délier leur gousset et... franchir un tourniquet. Comme si on pénétrait dans l'enceinte d'un parc d'attractions. Il semble qu'une partie des sommes ainsi récoltées soient retournées aux résidants du village, pour qu'ils ne soient pas tentés de ravaler leurs façades, de les dénaturer par excès de modernité ou... de quitter Xidi pour la grande ville.
Dans l'enceinte, l'essentiel de l'âme de Xidi semble avoir été relativement préservé, et plutôt que de croiser des échoppes de bonnets péruviens ou de t-shirts I§XD, on rencontre des antiquaires, des artisans, des pharmaciens écoulant des roubignoles de cerf séchées, des fabricants de pinceaux en poil de souris et des vendeurs de posters de Mao, dans le dédale de ruelles patinées par les siècles. À l'occasion, on tombe aussi sur quelque vieille âme esseulée, oubliée au fond de sa cour intérieure, qui semble se demander ce que font là tous ces millions de badauds qui lui défilent sous le nez.
«[Ces vieillards] sont malheureusement parfois en train d'être transformés en "figurants" de "villages-musées" [...] par une politique volontariste de promotion du tourisme local, menée par des édiles avides de capitaliser sur les ressources du tourisme», écrit Anne Garrigue, auteure de De pierres et d'encre - Chine, au pays des marchands lettrés, un ouvrage fort fouillé sur l'Anhui en général et le Huizhou en particulier.
Si des villages comme Hongcun, Xidi, Nanping — où on a aussi tourné des scènes de Tigre et Dragon —, Guadniu et Guanli demeurent aujourd'hui si délicatement ornés, si joliment ouvragés, c'est parce que ceux qui y ont érigé leurs demeures ont fait fortune grâce au commerce des «quatre trésors du lettré»: le papier de riz, l'encre de Chine et la pierre à encre, ainsi que le pinceau à calligraphier.
À la fois commerçants, bâtisseurs et mécènes, ces doctes marchands encourageaient l'artisanat, le savoir et l'art: pas étonnant qu'on puisse admirer de si éloquents exemples de panneaux de bois stylisés, d'arches ornementales ou de balconnets finement ciselés, dans le Huizhou.
Aujourd'hui, entre les hordes de touristes se faufilent des contingents d'artistes, d'étudiants en beaux-arts et d'esthètes avides de s'enivrer de joliesse et de raffinement, dans l'espace public de tous ces villages et hameaux. Armés de leur lutrin, de leur canevas et de leur pinceau, ils dépeignent comme leurs ancêtres les gracieuses vénustés environnantes comme s'ils apprêtaient à en tirer des estampes. Tant mieux pour nous: en suivant la portée de leur regard, on scrute davantage et on recherche assidûment tous les détails du singulier et du précieux. Et on en finit presque par oublier les tourniquets.
En vrac-Transport Les Montagnes jaunes et les villages du Huizhou sont situés à environ six heures de route de Shanghai, desservie depuis Montréal par Air Canada, Air France, Swiss et Qatar Airways, entre autres compagnies aériennes.
-Meilleure saison On peut fréquenter l'Anhui dès le mois de mars, quoique ceux d'avril à juin soient préférables, tout comme l'automne.
-Hébergement Sept hôtels avec restos sont établis dans les hauteurs du massif du Huang Shan et plusieurs autres ont pignon sur rue à Tangkou, le village qui sert de base aux randonneurs et d'où partent les téléphériques. Au rayon des grands hôtels sans charme mais confortables et tout neufs: Xiang Ming Hotel (
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-Guide Fraîchement réédité (novembre 2011), le
Lonely Planet Chine comporte plus de 1000 pages et un solide chapitre sur l'Anhui.
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-Renseignements:
Source:
Le Devoir