Istanbul - Ville d'histoire et de gastronomieAnne Michaud[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Photo : Anne Michaud
La mosquée Bleue, sur la place Sultanahmet à Istanbul. Sur la place Sultanahmet, au cœur du Vieux-Istanbul, le caractère unique de cette ville mythique est perceptible au premier coup d'œil. De part et d'autre de l'esplanade, deux édifices se font face: d'un côté, la masse imposante de Sainte-Sophie, église chrétienne édifiée sous l'empereur Justinien dans la Byzance antique; de l'autre, l'ensemble élégant des coupoles et des minarets de la mosquée Bleue, construite à la demande du sultan Ahmet Ier dans la cité qui portait alors le nom de Constantinople. À cet endroit précis, l'Occident et l'Orient se rencontrent toujours...
Istanbul — Depuis des siècles, Istanbul est un lieu où se côtoient les cultures, les religions et les modes de vie. Les résultats de ces rencontres sont visibles partout à travers la ville mais ne sont nulle part aussi frappants qu'à l'intérieur de Sainte-Sophie: dans cette église construite au VIe siècle, qui fut transformée en mosquée près de 1000 ans plus tard, les mosaïques représentant la Vierge, le Christ et d'autres figures bibliques côtoient en parfaite harmonie le mihrab (la niche murale indiquant la direction de La Mecque) et les calligraphies de versets du Coran.
De l'autre côté de la Corne d'or, sur la rive européenne du Bosphore, le palais de Dolmabahce constitue un autre exemple éloquent du métissage des cultures: dans ce palais somptueux construit au XVIIIe siècle, les pièces d'apparat sont de style baroque européen alors que les appartements où vivaient le sultan et son entourage sont conçus comme un harem à l'orientale.
De nos jours, ce sont peut-être les femmes d'Istanbul qui symbolisent le mieux son statut de ville-frontière entre l'Orient et l'Occident: leurs styles d'habillement vont de la simple robe-soleil jusqu'à une superposition de vêtements qui masquent toutes les parties du corps (jupe ou pantalon, blouse ou chandail à manches longues et foulard auxquels plusieurs d'entre elles ajoutent un manteau qui bat les chevilles).
La proportion entre les unes et les autres varie selon les quartiers; dans Beyoglü et autour de la place Taksim, elles sont majoritairement vêtues comme les femmes des grandes capitales européennes, alors que c'est l'inverse dans les quartiers plus populaires. Pour le moment, on ne voit à Istanbul que très peu de femmes portant le niqab ou le tchador, ce qui tranche avec les pays musulmans voisins et démontre à quel point l'islamisme pratiqué en Turquie est généralement modéré.
Cela dit, pour quiconque s'intéresse à l'islam, Istanbul constitue une destination très attrayante. La ville regorge de mosquées dont plusieurs datent des XVe et XVIe siècles et sont richement décorées de céramiques magnifiques. De plus, ces lieux de culte sont facilement accessibles aux non-musulmans: nul besoin pour les femmes d'enfiler le tchador imposé ailleurs; un foulard sur la tête et une tenue décente (épaules et genoux couverts) suffisent.
On peut profiter de cette accessibilité pour assister à l'une des cinq prières quotidiennes; l'idéal est de choisir une mosquée digne d'un certain intérêt historique et artistique mais relativement peu visitée par les touristes, telles que la Nouvelle Mosquée ou la mosquée de Rustem Pasa.
Pour une expérience vraiment exceptionnelle, on peut aussi profiter de la prière du soir pour entrer dans la mosquée Bleue en dehors des heures de visite; il suffit de mentionner au gardien qu'on souhaite assister à la prière et on peut alors admirer en toute quiétude les splendides coupoles et céramiques, sans la multitude de touristes qui envahissent les lieux durant la journée.
Une autre illustration de l'islamisme modéré qui règne en Turquie est le fait qu'on y trouve facilement de l'alcool, ce qui est fort heureux puisque les bières et vins locaux complémentent à merveille l'excellente cuisine turque.
Les délices de la cuisine turqueIl existe un adage selon lequel «on vient à Istanbul pour son histoire, mais on y reste pour la cuisine». Malheureusement, la seconde partie de cet adage n'est pas toujours évidente pour les touristes puisque la majorité des restaurants de la ville (et ils sont légion!) proposent les mêmes plats de kebabs, pâtes et pizzas. Pourtant, en cherchant un peu, on trouve des établissements qui sortent de ces sentiers trop battus. C'est d'autant plus facile si l'on met la main sur une publication gratuite intitulée Le Guide du Mangeur. L'auteur de ce guide, Alexis Demoulin, est un Belge qui vit à Istanbul depuis une dizaine d'années. Grand amateur de gastronomie, il fait part de ses coups de coeur culinaires dans cette brochure rédigée en quatre langues qui recense une dizaine de restaurants.
C'est ce petit guide qui m'a conduite au Pasazade, un restaurant de cuisine ottomane situé tout près de l'entrée du parc de Gülhane. Avec son décor qui rappelle les maisons ottomanes traditionnelles et son service impeccable, le Pasazade se distingue d'emblée de la plupart de ses concurrents, mais l'essentiel est qu'on peut y déguster des plats superbement exécutés, à des prix extrêmement raisonnables.
En entrée, les meze froids sont impeccables et se dégustent agréablement avec un verre de raki, l'alcool national du pays. Pour un repas léger, on peut ensuite opter pour les kayseri mantisi (des tortellinis au fromage servis avec sauce tomate et yogourt) ou un dolma (légume farci cuit au four dans l'huile d'olive), deux des plats qui font la renommée du Pasazade.
Parmi les plats principaux, il faut absolument goûter le Hüngar Begendi, ou «Favori de la sultane», un ragoût de veau braisé sur une purée d'aubergines fumées et grillées mélangée à une béchamel au fromage. Un pur délice! Le Mutancene, un ragoût d'épaule d'agneau avec amandes, raisins, abricots et prunes, est aussi singulièrement bon, de même que le Terkib-i Çesidiye, un ragoût de veau avec pommes, abricots et miel.
Si tous les restaurants d'Istanbul semblent offrir des kebabs, ceux-ci ne sont pas toujours de première qualité. À cet égard, l'Altin Kupa (recensé entre autres dans Le Petit Futé) se distingue en présentant le kebap (kebab en turc) à son meilleur. On y découvre que le terme kebap désigne beaucoup plus que la simple brochette de cubes de viande!
Si les Québécois connaissent déjà le sis kebap (la brochette traditionnelle) et le döner kebap (dont la version turque est assez semblable à celle qu'on trouve chez nous), une visite au Altin Kupa est l'occasion idéale pour découvrir le çoban kebap (un ragoût de viande, oignons, tomates et poivrons), l'adana kebap (viande hachée grillée sur brochette), l'iskender kebap (viande hachée servie sur un petit pain), ou le spectaculaire testi kebap qu'il faut absolument commander au moins une fois pour voir le serveur briser le pot dans lequel a mijoté ce ragoût de viande et légumes!
Si de nombreux restaurants proposent dans leur menu des pizzas à l'italienne, il est encore plus intéressant de voir comment la cuisine turque a adapté ce plat. La pizza turque, ou pide, est un pain plat garni de petits morceaux de boeuf, de tomates et ou de fromage, que l'on présente avec un accompagnement de fines herbes et laitues (aneth, menthe, oseille, roquette, feuille de chêne, etc.), ainsi qu'un quartier de citron. Mode d'emploi: déposer quelques feuilles de verdure sur une portion de pizza, arroser de jus de citron, saler au goût, rouler et déguster. Ça change de la traditionnelle pepperoni-fromage!
Pour le plus grand bonheur des gourmands, les Turcs adorent les desserts, et particulièrement les baklavas, dont ils disputent la paternité aux Grecs et aux Libanais. À Istanbul, les plus réputés sont ceux de la pâtisserie Karaköy Güllüoglu (
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] considérée comme le temple du baklava depuis plus de 60 ans! On ne sera pas déçu non plus par ceux de la pâtisserie Saray Muhallebicisi (
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] dont l'une des succursales, sur l'avenue piétonne Istiklal Caddesi, est ouverte jusqu'à 3h du matin pour satisfaire les petits creux des fêtards.
D'autres desserts turcs méritent d'être essayés au moins une fois, dont l'azure, à base de noix, fruits séchés et légumineuses, et le tavuk gogsü kazandibi, un pouding au lait et au blanc de poulet!
Enfin, on ne peut vraiment pas visiter Istanbul sans goûter aux lokum, les fameux «délices turcs». Si on en trouve dans pratiquement toutes les pâtisseries et boutiques de souvenirs, leur qualité est très variable. Pour goûter cet ancêtre du jujube à son meilleur, l'idéal est de se rendre dans l'une des trois boutiques où l'on vend des lokum fabriqués selon la recette de leur créateur, Ali Muhidddin Haci Bekir (
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] Depuis plus de 230 ans, ces frais bonbons aux essences de fruits et aux noix font le bonheur des Stambouliotes et des amateurs de sucreries du monde entier.
Après avoir dégusté quelques-uns des délices de la cuisine turque, je ne sais toujours pas si ce sont ces plats savoureux qui retiennent les étrangers à Istanbul mais je suis prête à témoigner du fait que leur découverte constitue un délicieux complément à la visite de cette ville fabuleuse.
Source: Ledevoir.com