Paisible HollandeFabienne Couturier
La Presse[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Le pittoresque village de Marken.
Photo Fabienne CouturierSur la carte des Pays-Bas, les deux Hollande (la Méridionale et la Septentrionale) n'occupent pas la moitié du territoire des Pays-Bas. Pourtant, on confond souvent ces deux provinces avec le pays tout entier - même les Néerlandais font cette métonymie! À voir la richesse de ces terres patiemment conquises sur la mer, la calme beauté des petites villes portuaires qui émaillent le lac de Marken, on comprend que tout un chacun ait envie de se les approprier...
En quittant Amsterdam, il suffit de rouler quelques minutes vers le nord pour se retrouver dans les paysages des cahiers à colorier de notre enfance: moulins à vent, polders bordés de digues et de canaux, placides troupeaux de moutons... Les hameaux qui s'y succèdent sont aussi paisibles et ordonnés que la campagne elle-même.
Ainsi, dans la petite île de Marken qu'une jetée relie à la terre ferme, cet ancien village de pêcheurs, qui semble n'avoir pas changé depuis des siècles - mis à part le fait que, dans la rade, les bateaux de plaisance ont remplacé les bateaux de pêche. Ses austères maisons de bois, serrées les unes contre les autres comme pour se protéger du vent incessant, sont reliées par d'étroits chemins pavés où nulle voiture ne circulera jamais.
Pour rejoindre Édam et sa ville-jumelle, Volendam, il faut encore une quinzaine de kilomètres, parcourus en mode escargot parce que tout, ici, donne envie de ralentir. Le parfait ordonnancement des champs et des fermettes, ce gracieux (si, si!) groupe d'éoliennes, moulins à vent des temps modernes au pied desquels paissent des moutons indifférents au vent glacial de mars... On leur envie leur manteau de laine, à ceux-là!
À Édam, les maisonnettes au toit couvert de mousse s'alignent devant les canaux, des sabots bien rangés par ordre de grandeur sur le pas de la porte. Tout est si coquet, si proprement disposé, si soigné qu'on dirait un décor de cinéma. Mais comment font-ils? Même la vitrine de la fromagerie, avec ses dizaines de meules de toutes les tailles, semble avoir été montée par pur amour du beau. Le patron, bien fier de son affaire, nous envoie à sa fabrique, à cinq minutes de là, où une jeune fille en costume folklorique d'opérette explique à un groupe de Japonais les étapes de la fabrication de l'édam. On apprend qu'il faut 500 litres de lait pour obtenir 50 kg de fromage et que la fameuse pellicule rouge ou jaune qui le protège n'est pas faite de cire... mais bien de plastique. Ici, on en produit une centaine de variétés (au piment, au poivre, fumé, plus ou moins vieilli, etc.), dont on pourra tantôt goûter quelques-unes. Miam!
Dans le bâtiment voisin, Ivan fait une démonstration de fabrication de sabots. Folklore? Eh non! Les sabots restent en usage chez de nombreux Hollandais, qui les portent pour jardiner. On les taille dans le saule ou le peuplier, dont le bois, léger et isolant, se travaille facilement. Une ingénieuse machine les façonne en quatre minutes à partir d'un gabarit, à la manière dont on reproduit les clés (à la main, il faut compter quatre heures).
Mais poussons un peu jusqu'à Hoorn, dont l'histoire, qui remonte au XIIe siècle, est étroitement liée au lucratif commerce des épices et à la navigation. Maintenant banlieue d'Amsterdam (qu'un train rallie en 50 minutes), son activité maritime s'est éteinte avec la construction de la digue de Zuiderzee, laquelle a coupé à jamais le lac de Marken de la mer du Nord. Autrefois, la Compagnie réunie des Indes Orientales s'y était établie, dans un immeuble magnifique aujourd'hui converti en théâtre. Les traces de ce riche passé commercial se retrouvent partout, tant dans le nom des rues (rue de la Laine, rue du Poivre) que sur les magnifiques façades des immeubles, dont la fonction était indiquée par un bas-relief - tel cet ancien entrepôt d'épices orné d'un sac de poivre. Enfin, les collectionneurs et autres amoureux de jouets anciens tomberont en pâmoison devant Het Oude Geveltje, une minuscule boutique remplie jusqu'au plafond de poupées, d'oursons et de joujoux de toutes les époques.
En route pour Enkhuizen, le but de notre escapade. Cette petite ville de carte postale rendra neurasthénique quiconque a omis d'emporter son appareil photo. Ses rues très anciennes, avec leur maisons toutes biscornues, rivalisent de charme et de quiétude. Il est vrai que nous sommes hors saison - ce doit être tout autre chose en juillet!
Au port, des maisons qu'on dirait de pain d'épice enserrent la rade, où des voiliers à fond plat munis d'un curieux dériveur latéral attendent de faire voile sur la mer du Nord. Ils sont nombreux à proposer ainsi aux touristes des croisières de quelques jours. Comme on aimerait appareiller avec eux! Attablé à l'un des cafés qui bordent le port, on a tout loisir d'observer cette mouvante forêt de mâts et de rêver un peu, peut-être comme ces trois jeunes moussaillons de bronze qui regardent la mer à jamais, près du quai.
Sur le chemin du retour, nous ferons un crochet à Rustenburg: la carte indique que trois moulins se côtoient au bord d'un canal. Nous ne pouvons tout de même pas quitter la Hollande sans en avoir vu! Pour cela, il faut pénétrer plus avant dans les terres, que les moulins servaient à drainer. Aussi bien, le paysage est magnifique. Les polders s'étendent à l'infini, sillonnés de canaux où grouille tout un petit peuple de canards, de poules d'eau et de hérons. Nos trois géants dressent soudain leurs grandes ailes immobiles à l'horizon. C'est Don Quichotte qui serait content! Ils dominent la terre grasse et noire d'un labour, au bord d'une étroite route. Les trois, qui sont habités comme de paisibles maisons de banlieue, semblent en état de fonctionner. Avec ce vent à défriser les moutons, on ose à peine imaginer à quel train ils marcheraient...
Source: Cyberpresse.ca